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Lorsqu’on parle de piratage, nous pensons généralement aux côtés négatifs. La plupart du temps, cela est présenté comme du vol, ou tout du moins comme quelque chose qui enfreint la loi. Il est souvent mentionné dans les lois ou les rapports que le piratage est dangereux, car il peut freiner la création et l’innovation, en impactant directement les revenus des ayant-droits. Bien qu’il s’agisse d’une façon de voir les choses, cet article vise à mettre en lumière un autre aspect du piratage, et à montrer qu’il peut également être considéré comme une source de création, de connaissance et d’innovation.

Le terme piratage fait habituellement référence à la reproduction non autorisée d'informations protégées par le droit d'auteur ou brevetées, telles que la musique, les logiciels, les films, les articles scientifiques, etc. Par conséquent, la plupart du temps, le piratage a une connotation de vol et est considéré comme une pratique contraire à l'éthique. En raison de cette connotation négative, le piratage semble à première vue n'avoir que peu d’avantages autres que la gratuité pour les consommateurs.

Cependant, si l'on examine de plus près les pratiques de piratage à travers l'histoire, on constate que celui-ci a eu un impact profond sur l'émergence de nouveaux modèles commerciaux, de nouvelles technologies, d'innovations et d’accès à la culture.

Accès et diffusion de la culture

L’un des principaux arguments des ayants-droits est généralement de dire qu’un média piraté est une vente de moins pour l’auteur ou l’artiste. Ceci est complètement faux, puisqu’une grande partie des consommateurs n’auraient sans doute pas payé pour avoir accès à ce film ou à cet album de musique s’ils n’avaient pas pu le pirater. Pour ma part, je télécharge des films régulièrement, mais je n’aurai jamais payé pour les visionner au cinéma ou en VOD si je n’avais pas pu le trouver sur un site pirate. Ce n’est donc pas une vente de moins pour les producteurs de ces films. Je continue d’aller au cinéma, ou de payer pour des films sur Internet, mais uniquement pour ceux que je souhaite vraiment voir et pour lesquels cela me convient de payer.

Pirater un film ou un livre permet également l’accès à la culture aux personnes n’ayant pas les moyens de se les payer. Dans ces cas-là, ce ne seront pas non plus des ventes en moins. Cela permettra par contre à ces personnes d’accéder à des contenus auxquels ils n’auraient peut-être jamais eu accès sans le piratage. De plus, une personne ayant accès à un contenu multimédia qui lui plait a de fortes chances d’en parler autour d’elle, et ainsi de contribuer à sa diffusion et à ses ventes. Cela m’est par ailleurs déjà arrivé de pirater un album de musique pour juger de sa qualité, et de l’acheter ensuite parce que j’aimais bien ce que j’entendais. Pour des logiciels comme Photoshop, c’est la même chose. Est-ce qu’il serait devenu aussi populaire qu’il l’est aujourd’hui sans le piratage et les millions d’étudiants qui l’utilisent ? Et qui vont ensuite probablement l’acheter une fois entrés dans la vie active.

Dans les années 60, ce sont les radios pirates anglaises qui ont aidé à l’essor du rock. Sans ces radios, cette diffusion ne se serait peut-être pas faite, ou alors bien plus lentement.

Enfin, le piratage est aussi un atout pour la diffusion de la médecine et de la science. Face aux brevets et copyrights des laboratoires et maison d’édition, des sites comme Sci-Hub cassent les barrières et permettent à des citoyens et professionnels du monde entier d’avoir accès à des documents de recherche pour le bien de tous. Que ce soit pour ces documents de recherche ou pour les vaccins contre le Covid 19, qui ces brevets et copyrights protègent-ils à part une poignée de dirigeants déjà fortunés ?

La création de nouveaux marchés

En plus d’aider à diffuser et à démocratiser l’information et la culture, le piratage a aussi été créateur de nouveaux marchés ces dernières décennies.

Prenons l’exemple du streaming musical : en 1999, alors que nous écoutions nos CD ou nos cassettes dans nos chambres, c’est Napster qui a été un pionnier du partage et de l’écoute de musique en dématérialisé. Et même si à l’époque, partager ses fichiers MP3 ou WAV était illégal et a entraîné l’industrie de la musique à porter plainte contre Napster, cette même industrie a utilisé ces technologies pour vendre ses CD par la suite. Et de nombreux autres logiciels, d’abord illégaux, comme LimeWire, puis légaux, comme Deezer ou Spotify, lui ont emboité le pas. Aujourd’hui, les CD ne sont plus le premier support d’écoute de musique et c’est bien les albums dématérialisés et le streaming en ligne qui sont dominants dans ce secteur. Mais sans Napster, en serait-on arrivés là aussi rapidement ?

Et la même chose peut être dite à propos des films et des séries. Aujourd’hui, fini les VHS et les DVD, tout le monde utilise Netflix, Disney+, Prime Video, Apple TV, etc. À l’époque, qui se souvient utiliser eMule ou LimeWire pour télécharger un film basse qualité pendant 3 jours… pour finalement tomber sur quelque chose qui n’a rien à voir (souvent du pr0n…). Désormais, le téléchargement a bien changé, notamment grâce aux plateformes de streaming, mais similairement, en serait-on arriver là si rapidement sans tous les logiciels et services illégaux qui les ont précédés ?

De plus, les pirates peuvent créer un climat de compétition susceptible de stimuler les capacités d’innovation des entreprises à des niveaux supérieurs à ce qu’ils auraient été sans le piratage. On a déjà vu de nombreuses fonctionnalités liées au jailbreak (les tweaks) du côté d’iOS être ensuite officiellement implémentées par Apple dans le système d’exploitation.

Pirater n’est pas voler

Contrairement à ce que voulait nous faire croire cette publicité, non, pirater un contenu n’est pas du vol. Vous ne faites que copier des données qui ont déjà été répliquées des milliers de fois. Vous ne volez rien et vous ne blessez personne en faisant ça. Cela vous permet juste de profiter d’un contenu multimédia sans donner de l’argent à une entreprise, un label, un producteur ou une maison d’édition.

Évidemment que pour des films indépendants, des petits groupes de musique, des livres en petits tirages, ou bien des jeux vidéo indépendants, je recommande de les acheter si vous en avez les moyens, afin de supporter leurs auteurs. Mais si ce n’est pas le cas, vous ne faites de mal à personne en consommant ces médias gratuitement, et vous pouvez même aider à leur diffusion, comme expliqué plus haut.

Le souci de la propriété intellectuelle

Le premier problème de la propriété intellectuelle est qu’il s’agit d’un mot fourre-tout pour désigner différentes lois : les copyrights, les brevets, et les marques déposées. Ainsi, s’attaquer à la propriété intellectuelle est compliqué puisque les copyrights sont bien différents des brevets ou des marques déposées. Comme l’explique bien cet article : “Par exemple, l'une des questions relatives au droit du copyright est de savoir si le partage de la musique devrait être autorisé ; le droit des brevets n'a rien à y voir. Le droit des brevets soulève la question de savoir si les pays pauvres devraient être autorisés à produire des médicaments qui peuvent sauver des vies et les vendre bon marché pour épargner des vies. Le droit du copyright n'a rien à voir avec cela.”

Il est donc compliqué de parler de propriété intellectuelle dans son ensemble, et il serait plus aisé de soulever les problèmes liés aux copyrights, aux brevets ou aux marques déposées. Mais parler de propriété intellectuelle permet de simplifier un peu cela.

En 2001, l’économiste Daniel Cohen écrivait un article intitulé “La propriété intellectuelle, c’est le vol” et dans lequel il déclarait "Acheter une maison ou une paire de chaussettes, c'est revendiquer le monopole légal de son usage [...]. La propriété intellectuelle est d'une tout autre nature. Lorsqu'une idée a été trouvée, rien ne fait obstacle à son usage pour tous, sinon la propriété intellectuelle elle-même. Alors que la propriété tout court rend possible l'appropriation d'un objet, le droit de propriété intellectuelle la restreint." Ce titre fait bien entendu référence à Proudhon, pour qui la création est un produit et non une propriété. Proudhon conteste l'existence d'un droit de propriété de l'auteur sur son œuvre. Pour lui, dans le cas d’un livre par exemple, le manuscrit appartient à son auteur tant que celui-ci ne l’a pas vendu, mais après sa vente, il appartient à l’acquéreur. Bien entendu, de nombreuses visions se sont opposées et s’opposent toujours au sujet du droit d’auteur et du copyright, et les débats sur la propriété intellectuelle sont toujours d’actualité aujourd’hui, aussi bien en France, aux États-Unis, et partout ailleurs dans le monde.

Pour ma part, je pense que la propriété intellectuelle est une restriction artificielle de l'utilisation de l'information. Elle verrouille la culture, le savoir et même la médecine et la science. C'est l'un des piliers du capitalisme, et nous devrions tout pirater par principe.

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Paul Aimé

Designer & Développeur web (iampox.com)


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